Questions à Hamed Zolfaghari à propos de Les Femmes du soleil, chronologie du regard

Par Jean-Claude Penrad 

Jean-Claude Penrad : Un tel projet ne naît pas de nulle part, bien sûr… Comment êtes-vous arrivé à la réalisation et comment ce film est-il né ? Le choix de Shafie Abad est-il lié à votre histoire personnelle ou à des projets de développement local (artisanat, tourisme, hydraulique) à travers lesquels vous avez fait la connaissance de ce village à l’est de la ville de Kerman ?

Hamed Zolfaghari : Cela fait 17 ans que je travaille comme réalisateur. J’adorais la littérature classique, quelle soit iranienne ou mondiale, et j’écrivais de courts romans depuis le lycée. J’ai fait des études d’ingénierie informatique à l’université, mais cela n’était pas pour moi, c’est pour échapper à l’ennui que j’ai commencé à faire des films.
Je suis originaire d’Iran, d’un peuple nomade. Je ne m’intéressais pas au cinéma conventionnel qui ne me satisfaisait pas, ne m’émerveillait pas.  
Après deux tentatives infructueuses de réaliser des films participatifs, j’ai trouvé des femmes de Shafie Abad qui participaient à un projet d’écomusée. La responsable, Nina, m’a demandé de documenter le projet mais j’ai posé une condition, utiliser la méthode du film participatif, et elle a accepté. Au bout de trois mois l’état de Kerman nous a demandé de quitter le Château qui était le cœur du projet Ecomusée, car ils voulaient y installer un hôtel. Nous avions commencé à travailler et nous avons décidé de nous focaliser sur le groupe de vidéo participative des femmes.

J-C. P. : Par quelle procédure administrative êtes-vous passé pour être autorisé à filmer aussi longtemps (trois ans) ? L’hostilité, plus ou moins apparente, de certains villageois est évoquée dans les interviews et certains regards froids des hommes du rassemblement collectif à Husseynieh, la salle de congrégation.
Cependant, elle n’est évoquée et pas clairement perceptible dans le film, où l’on est essentiellement entouré de femmes la plupart du temps.
Votre présence lors des ateliers vidéo de formation n’a-t-elle pas été un frein à l’initiative des femmes, même si une proche (Fatemeh Zolfaghari) est impliquée, ainsi qu’une des responsables (Nina Amin Zadeh) ?

H.Z. : Nous n’avions aucune autorisation pour tourner. L’état de Kerman a été le premier bailleur de fonds du projet et personne ne nous demandait quelle était la raison de ces ateliers de cinéma. Ce qui signifie que nous avions une autorisation administrative complète pour travailler dans le village, heureusement.
Mais le problème le plus important avec le tournage était culturel, bien plus important que les barrières gouvernementales, comme vous avez pu le comprendre.
Il était très important que ma sœur Fatemeh soit avec moi en tant qu’assistante animatrice et photographe pour le début du projet et aussi Nina en tant que gestionnaire et d’autres animatrices sociales qui étaient pour la plupart des femmes.
La confiance ne s’est pas instaurée tout de suite, elle a pris quelques mois. Ainsi , les hommes du village observaient ce que faisaient les femmes et elles, elles se sentaient suffisamment à l’aise pour aller filmer et aussi avoir de activités, pas seulement dans leur village.

J-C. P. : Le mélange de vos images avec celles de la coopérative de femmes a dû poser problème lors du montage. Il reste quelques indications laissées dans le film (zooms intempestifs ; correspondances d’axes dues à la position fixe de la caméra). Cette maladresse cinématographique est bien gérée car elle rappelle la double perspective autour de laquelle se construit le film. Il semble que vous n’ayez pas monté le film en Iran. Quels problèmes vouliez-vous éviter en le faisant ? Trop de distance entre le projet initial et le résultat final ?
Avez-vous monté une autre version pour une utilisation locale ? Enfin, le film a-t-il été projeté en Iran, et si oui, quelle a été la réaction du public ?

H.Z. : Le défi du film était exactement de savoir comment monter ces deux types de séquences harmonieusement, pour le public. Respecter ce qu’elles regardent avec leur caméra et comment elles peuvent être vues. J’ai donc décidé de travailler avec Gladys, car elle est généreuse et c’est une grande professionnelle. Au montage, je voulais surtout préserver le ressenti des femmes et clarifier quel était le contexte. Gladys était la bonne personne pour cela et lorsqu’elle est partie à Paris avec sa famille, je l’ai suivie avec les rushes !
En fait, j’ai commencé à monter dès le début du tournage. Nous avons réalisé ainsi trois courts métrages pour les ateliers publics soutenus par l’état. Un de ces films (sur Qanat) a même remporté un prix dans un festival du film d’Iran. Nous avons travaillé, classiquement, sur papier, avant de passer sur Avid. Ensuite ce premier montage a été vu par les femmes du film. Elles ont fait leur retour, ont discuté des détails, et nous avons finalisé le film. Et, de fait, le résultat est proche des premiers courts métrages que nous avions montés ensemble au village. Nous avons juste eu une petite projection en Iran avec un groupe de critiques qui s’est révélée très décevante. En Iran les critiques s’intéressent au cinéma conventionnel et aux documentaires tels que les produisent les anglo-saxons. Ensuite, nous avons eu une projection devant un très petit nombre de personnes dans mon studio à Téhéran. Ce qui s’est révélé passionnant, c’est que les femmes voyaient les questions de cinéma. La plupart des hommes suivaient simplement le scénario et anticipaient ce qui se passerait à la fin.
Malheureusement, lorsque nous avons terminé le film, les cinémas étaient fermés à cause de la pandémie. Il n’y a pas d’espace à la télévision iranienne pour diffuser ce genre de film, pour des raisons idéologiques. Les cinémas en Iran ouvrent à nouveau mais il y a très peu de public surtout pour les documentaires. Je devrais donc inventer un moyen pour que nous puissions montrer le film en Iran, c’est très important pour moi. J’y arriverais si la situation sanitaire s’améliore et qu’il était possible de voyager de nouveau plus facilement.

Décembre 2021

Voir le film sur Tënk

LES FEMMES DU SOLEIL, CHRONOLOGIE DU REGARD de Hamed Zolfaghari (2020, 87′)