Questions à Kazuhiro Soda à propos de Inland Sea

Par Antoine Laurent

Antoine Laurent : A plusieurs reprises, certains protagonistes du film hésitent avant de vous laisser filmer. Vous avez décidé de rendre le spectateur témoin de ces échanges. Pourquoi ?

Kazuhiro Soda : Ce que j’essaie de faire dans mes films, c’est d’observer le monde, et j’en fais partie. C’est la raison pour laquelle il m’est impossible de disparaître, alors que je suis inclus dans ce monde que nous partageons.

A. L. : Le film est constitué de nombreux plans séquences avec très peu de mises en scènes. Pourriez-vous réaliser un documentaire en écrivant beaucoup en amont, en préparant le tournage et l’histoire du film en avance ? Si non, pourquoi ?

K. S. : Cela fait partie de mes « principes ». C’est à dire ne rien planifier et ne pas chercher des informations avant de filmer. Je veux observer de près la réalité et me laisser porter par les surprises et les découvertes qui s’offrent à moi sans baser mes attentes sur des suppositions ou des idées préconçues que j’aurai pu avoir avant le tournage. D’ailleurs, j’ai établi mes propres « 10 commandements », une liste de règles que j’essaye de suivre.

La voici :
1 – Ne pas effectuer de recherche préalable.
2 – Ne pas rencontrer avant le tournage les personnes filmées.
3 – Ne pas écrire de scénario.
4 – Tenir soi-même la caméra.
5 – Tenir la durée du plan aussi longtemps que possible.
6 – Creuser son propos plutôt qu’étendre son champ (physique et symbolique).
7 – Aborder le montage sans présumer ce que sera le film à venir.
8 – Ne pas ajouter de voix-off, d’inscriptions à l’image ou de musique.
9 – Travailler en plan séquence.
10 – S’autoproduire.

A. L. : Impossible de ne pas penser au travail de Wiseman lorsqu’on regarde le film. Comme lui vous recréez au montage, à l’intérieur des séquences « une forme de temps au présent ». Pourriez-vous nous raconter ce « présent de la narration  » que vous vous insufflez tout au long du film ? Comment appréhendez-vous vos images au moment du montage du film ?

K. S. : En accord avec le commandement n°7, je ne me mets pas de thèmatique ou d’objectif en tête avant de monter. Le propos du film est quelque chose que je découvre en montant la matière filmique que j’ai rapportée. Encore une fois, je suis cette règle parce que j’aime découvrir des choses inattendues plutôt que de monter dans le but de prouver que mes idées préconçues sont fondées ou de me conforter dans ma manière de voir les choses.

Décembre 2021

Voir le film sur Tënk

INLAND SEA de Soda Kazuhiro (2018, 122’)