Questions à Swann Dubus à propos de Finding Phong

Par Antoine Laurent

Antoine Laurent : Le film commence par un « journal intime » filmé par Phong qui constitue le premier mode de narration du film. Donniez-vous des directives à Phong avant ou durant les tournages ? Pourquoi ? 

Swann Dubus : C’est le producteur du film qui est à l’origine de ce projet. Il était proche de Phong depuis plus de deux ans et avait envie de produire un film sur sa transition. Il nous a proposé de réaliser ce film en nous laissant carte blanche quant à sa forme. Nous avons choisi de confier une caméra à Phong car nous nous connaissions peu lorsque nous avons entrepris de réaliser ce film et qu’il était délicat de s’introduire dans son intimité en abordant des sujets très sensibles, relatifs à son identité et à son corps. 
Phong a tout de suite été enthousiaste à cette perspective. Nous lui avons montré comment marchait la caméra et donné quelques indications techniques. Ensuite, elle nous confiait ses rushes toutes les deux semaines et nous avons appris à nous connaître à travers cette matière et aussi grâce aux discussions qu’elle engendrait. Phong était libre de ses tournages mais nous lui donnions des indications sur les sujets qu’elle pourrait aborder ou les situations qu’elle pourrait filmer. 

A.L. : Vous avez décidé d’introduire une seconde caméra. Le changement de point de vue interroge : qui filme ? Pour dire quoi ? En quoi cette double approche a permis de renforcer la thématique du film, de la quête d’identité et de l’affirmation de soi ?

S.D. : Dans la première moitié du tournage, nous avons essayé de filmer Phong nous-même avec un dispositif léger mais plus professionnel (Swann au cadre et Thao à la perche). Phong était mal à l’aise car cette caméra attirait l’attention sur elle, suscitait la curiosité de son entourage et des questions qu’elle n’était pas encore apte à digérer. Nous avons donc décidé de suspendre ce mode de tournage. Nous avons tout de même gardé au montage une scène issue de cette matière, filmée au Théâtre des Marionnettes.
Lorsque Phong est allée consulter des médecins en Thaïlande et qu’elle a entrevu la possibilité d’une évolution positive à sa situation, son état d’esprit a changé du tout au tout. A ce moment, elle avait envie de vivre pleinement l’expérience incroyable qui l’attendait et tenir un journal filmé est devenu une contrainte. Elle a d’ailleurs presque arrêté de filmer. Elle voulait néanmoins continuer à rendre compte de son expérience et notre caméra était alors la bienvenue. D’après nous, ce nouveau point de vue intervenant au cours du film permet d’en changer la perspective en offrant une représentation plus ouverte sur l’environnement affectif de Phong, notamment sa famille.

A.L. : La sphère familiale apparaît à l’image en deuxième partie de film. Souhaitiez-vous laisser entrevoir aussi les contradictions d’une société – à l’image du vieux père de Phong d’un étonnant progressisme ?

S.D. : Lorsque le producteur (Gerald Herman) nous a proposé de réaliser ce film, nous avons hésité car ce sujet ne nous intéressait pas spécifiquement et que beaucoup de (bons) films avaient déjà été réalisés sur cette thématique. Ce qui nous a convaincus de nous lancer dans ce projet, c’est justement la perspective de pouvoir traiter par le biais de cette situation si particulière beaucoup de questions clefs de la société vietnamienne : les rôles attribués aux genres, la famille, le travail, l’amour…
Même si le film s’articule autour de Phong, du voyage qu’elle entreprend et de sa personnalité parfois clivante, ce que nous préférons dans celui-ci est la peinture d’une société certes traditionnelle mais bien plus ouverte et bienveillante que l’on ne l’imagine. 

Décembre 2021

Voir le film sur Tënk

FINDING PHONG de Tran Phuong Thao et Swann Dubus (2015, 93’)