Association Halage

Île-Saint-Denis
2019-2023

Projections

- le 7 février 2024 à 18h30 au Musée national de l’histoire de l'immigration
- l’avant-première, le mardi 7 novembre 2023 au Théâtre Jean Vilar à l’Île-Saint-Denis

Intervenants

Béatrice Plumet (cinéaste) et Antoine Vaton (Périphérie)

Partenaires

Association Halage - Maison des initiatives citoyennes, Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis dans le cadre des Chroniques documentaires

Présentation

Débuté en Octobre 2020, l’Observatoire s’engage à accompagner le travail d’une équipe de l’association Halage, constituée d’un groupe de 8 personnes en formation, de leur encadrant technique Nicolas et de leur conseiller en insertion professionnelle, Florian.

Préambule

A la pointe Nord de l’île Saint Denis, une ancienne friche qui fut lieu de stockage de remblais lors de la rénovation haussmannienne mais aussi du dragage de la Seine ou plus récemment lors de la construction du périphérique parisien avant de devenir un site industriel pour la voierie et le BTP, a été investie par l’association Halage.

Sur ce terrain bordé par une voix rapide, un pont et les passages récurrents du RER, des serres ont été installées et un bâtiment accueille les employés d’Halage. Sur ce bout de terre, des hommes et des femmes dont la vie a croisé les chantiers d’insertion tentent de reprendre leur vie en main en se formant aux métiers du jardin.

Alors que cette terre en friche se rêve dans les années qui viennent comme un espace exemplaire de biodiversité dans le cadre d’un projet d’extension du parc départemental, l’observatoire documentaire s’attache à réfléchir avec l’équipe sur cette aventure liée au travail de la terre sur l’île.

Le parcours moyen des salariés en insertion dure un an ou deux de manière à appréhender l’activité tout au long des quatre saisons mais aussi pour avoir le temps de se projeter dans l’après.

L’Observatoire documentaire se propose de les accompagner et de les rencontrer en les formant à l’outil documentaire, dans cette transition.

Une année sur l’ilôt

Nous commençons l’Observatoire et nous nous rencontrons en ce jour très particulier : jour 1 du confinement 2. Il fait bien « octobre » sur la friche : rumeur incessante du trafic des voitures, rythmée par les passages du RER et l’odeur oppressante du compost.

Un groupe de 6, 5 hommes et une femme en formation et leurs encadrant technique Nicolas et leur conseiller en insertion professionnelle, Florian. Le groupe vient de se constituer, ils font connaissance les uns avec les autres et apprennent la réalité du travail, physique, exigeant.

Pour commencer nous projetons un film documentaire, les réactions sont stimulantes riches pour la moitié d’entre eux mais il apparaît très vite que pour ceux qui ne parlent pas français, l’accès au film est trop difficile et que nous perdons une partie du groupe.

Nous décidons alors d’un exercice pratique de présentation à travers la caméra. Très vite, les stagiaires s’approprient ce dispositif, le cadre, la perche mais aussi ce dialogue particulier de part et d’autre de la caméra. Ils jouent le jeu avec une frontalité et une liberté qui dit leur désir d’apparaître derrière les masques. Stimulés dans leur réflexion par la présence de la caméra et par cette écoute, ils cherchent à formuler leurs attentes, leurs aspirations.

Nous ne savons rien de leur parcours et des raisons qui les ont amenés sur l’îlot. Quelques-uns évoquent leur pays d’origine, l’Afghanistan, le Soudan, le Maroc, l’île Maurice… Plus intéressés par ce que la caméra provoque comme réflexion et génère comme parole que par la manipulation technique, ils ont envie de dire, d’être écoutés mais aussi de questionner leurs camarades, de faire connaissance.

Seconde séance : premiers pas sur l’îlot.
Par petits groupes, ils partent filmer le site ; ciel gris métallique, branches nues et terre labourée, la lumière douce à l’intérieur de la serre comme un cocon dans ces paysages désolés.

Quoi faire de la caméra, comment s’y prendre ? Que filmer ? Est évoquée l’idée de filmer l’îlot de manière régulière pour « voir pousser », pour voir le temps se matérialiser dans le passage des saisons. Nous décidons de faire des plans sur le site. Nous les répèterons régulièrement au fil des séances à venir.

Lorsque nous revenons sur l’îlot, nous regardons ce qui a été tourné, les entretiens et les images du site. Les réflexions qui suivent ce premier visionnage lancent les pistes de tournage à venir.

Ces premières séances où le travail à la caméra s’est imposé pose les bases d’un rituel improvisé qui s’accroche à nos passages une fois par mois. Nous avons adopté ce rythme pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que notre présence laisse ainsi de l’espace au travail du jardin mais surtout parce que le film « travaille » dans l’intervalle. Ce temps permet d’apprivoiser l’Observatoire sans s’en sentir otage.

Les questions abordées pendant une séance creusent leur sillon durant notre absence comme si le tournage permettait, par cette venue d’un tiers, une réflexion qui ne se serait pas produite sans cette occasion et qui met parfois quelque temps à éclore.

Et puis l’absence permet de se raconter. Depuis notre passage que s’est-il passé ? Sur l’îlot mais aussi dans leur vie, dans le monde…

HIVER

Au fil des séances, chacun précise sa place par rapport à la place de la caméra en fonction de ce qu’il est et de son désir.

Il y a ceux qui aiment la présence de la caméra dans le groupe pour sa vertu récréative ludique mais aussi pour l’espace de réflexion et d’expression qu’elle produit. Et puis il y a ceux qui aiment l’espace de fabrication cinématographique, regarder, observer avec la caméra.

Moins présent devant que derrière M. aime filmer, il a un véritable plaisir du cadre. Il photographie les arbres, les fleurs sur son smartphone. Apparaît ainsi le désir de filmer le travail, dans les gestes, débroussailler, cartonner, tondre, planter…

Filmer le travail physique, les gestes, ceux qu’ils apprennent et qu’ils répètent, mais aussi la terre, les pousses, les fleurs, le paysage qui change et puis avec de plus en plus de spontanéité se parler à travers la caméra, de leur travail et de leur expérience sur l’îlot mais aussi de celle du tournage.

Arpentant l’Île-Saint-Denis, la camionnette de Halage traverse l’île, longe les quais pour aller jusqu’au cimetière qu’il faut entretenir, mais aussi traverse le pont pour aller à la gare d’Épinay de l’autre côté de l’îlot. Les mêmes passages du RER scandent le temps à la gare comme sur la friche.

De séances en séances à travers les gestes répétés à travers les saisons, le paysage évolue, verdit, fleurit et les projets pour chacun se dessinent. De mois en mois la caméra capte cette évolution, celle des salariés en insertion mais aussi la métamorphose du paysage.

PRINTEMPS- ÉTÉ

Le site est vert et fleuri par toutes les tulipes multicolores qui ont recouvert la friche. L’année se termine au soleil sur les berges de la Seine à l’ombre des arbres. La parole est plus libre, plus légère, les stagiaires échangent sur leur projet d’avenir ce qu’ils ont appris du métier mais aussi sur eux même dans ces quelques mois. Le français pour les étrangers est devenu plus fluide. A travers leur complicité et leur humour apparaissent les liens de camaraderie que le temps a tissé sur l’îlot.


AUTOMNE

Septembre : nous reprenons le chemin de l’île avec une projection du travail de l’Observatoire mais cette fois-ci dans une vraie salle de cinéma. La projection des images qu’ils ont tournées sur le grand écran de la salle Jean Vilar joue comme un révélateur sur les chemins parcourus, leur permet de mesurer l’évolution, les progrès en français mais aussi de rappeler les difficultés, les découragements. Tous remarquent le passage du temps dans la présence du paysage avec les saisons qui impriment l’image : le vent dans les feuillages, la neige, le printemps et les fleurs comme autant de taches multicolores sur la friche…

Lors de cette projection apparaît aussi dans leur témoignage, une nostalgie partagée d’une nature liée à l’enfance par-delà leurs différents pays d’origine : Casa des années 60 qui laissait des espaces de nature aux enfants, B. qui évoque la région d’où elle vient nommée Petit Verger avec ses champs, ses courses dans les herbes, les fruits de l’île Maurice. Ces espaces perdus les rattachent au présent du travail de la terre sur l’îlot. Dans les témoignages filmés se répètent de manière troublante cette « terre-mère » et des souvenirs de nature liés à l’enfance.

Cette séance de cinéma de rentrée résonne comme un bilan. Deux absences imprévues, S. et B. nous rappellent la difficulté de cette transition et la fragilité des parcours. Manque aussi A. qui appelle après la projection, il a trouvé un contrat avec une formation de couvreur en alternance sur trois ans.

Des pistes se dessinent, M. va intégrer à Halage l’équipe fleurs. En janvier, F. aura terminé son temps à Halage et affiné son projet de départ au Canada. Une partie va quitter le groupe, deux arrivées sont prévues.

L’Observatoire accompagne ses mouvements qui scandent la vie des chantiers sur l’îlot, ses départs et ses arrivées. Au bout d’une année, le film de l’Observatoire devient le lieu où retrouver les anciens mais aussi une manière d’accueillir les nouveaux, une sorte de relais dont ils inventent les codes.
Pour B., c’est un prétexte pour revenir donner des nouvelles et donner des informations à un nouvel intéressé par cette formation de paysagiste et son diplôme.

Dans cet espace transitoire se profile l’après avec l’importante question du travail. A travers leurs trajectoires personnelles, tous à leur manière questionnent le sens du travail, la manière dont ils aimeraient l’envisager : le film de l’Observatoire devient le lieu de ce dialogue.

Résumé du film L’île des possibles

A la pointe de l’Île-Saint-Denis, sur un terrain bordé par une voix rapide, un pont et les passages récurrents du RER, des serres ont été installées et un bâtiment accueille les salariés des chantiers d’insertion d’Halage. Des hommes et des femmes « qui se sont un peu fait mal comme dit l’un d’eux » tentent de reprendre leur vie en main, tout en faisant fleurir cette terre polluée. A travers leurs gestes répétés au fil des saisons, leur caméra capte la métamorphose du paysage mais devient aussi l’outil d’une réflexion sur leur propre évolution et le sens du travail.