L’histoire, le cinéma, la CGT et, enfin, un peu de banlieue

Petit préambule autour d’un « nouvel » objet

Au début des années 70, essentiellement grâce à Marc Ferro et à Pierre Sorlin, s’est esquissée une nouvelle discipline historique baptisée « histoire et cinéma » alors que se développait, toujours dans le domaine de l’histoire, toute une série de « nouveaux objets » et de « nouveaux territoires » dont le cinéma devait être un des plus beaux fleurons.

Las, quand on parla, dès les années 80, de « crise de l’histoire », le diagnostic pointa l’éparpillement des sujets, la fin de toute vision globale et de l’interdisciplinarité[1]. Beaucoup prônèrent un retour au métier d’historien, à la méthode. Or, le cinéma, « nouvel objet » était de surcroît souvent abordé à tâtons. Encore aujourd’hui, la méthode pour appréhender un film de manière historique fait majoritairement défaut. Les historiens ont derrière eux au moins un siècle d’analyse scientifique des textes, mais l’expérience est maigre en ce qui concerne l’appréhension de l’image en général, et celle-ci l’est encore plus pour l’image animée.

Cependant, depuis ces dernières années, la « nouvelle » discipline connaît un essor certain – essor s’appuyant sur des acquis récents de l’histoire et, surtout, sur un accès beaucoup plus aisé aux archives-papier et aux archives-film. Incontestablement, le centenaire de la naissance officielle du cinéma, riche en programmations, missions et colloques, a eu un effet dynamique. Toutefois, si la discipline gagne en scientificité elle perd – mais peut-être est-ce le prix de ce gain – en homogénéité, elle aussi.

Se sont ainsi développées, récemment, plusieurs histoires du cinéma dont certaines sont très prometteuses : une histoire culturelle (des salles, des spectateurs, de la cinéphilie, des festivals…[2]), une histoire économique (des firmes, des studios, des circuits de distribution..[3]), une histoire technique (des appareils de projections avant et après Lumière… [4]). Ces histoires ont eu comme mérite de séparer l’histoire et le cinéma de la cinéphilie extatique comme d’une histoire étroite du cinéma ignorant tout contexte. Elles nous ont appris – au risque parfois de perdre l’objet film – que le cinéma ne se résumait pas à quelques chef-d’œuvres, ni aux longs-métrages de fiction, ni même aux seuls films. Le cinéma comme art, industrie, spectacle, représentation, nécessite une approche plurielle.

Entre l’émergence de cette nouvelle discipline et le développement récent de ces multiples histoires, sont aussi apparues des histoires thématiques et/ou chronologiques. Aujourd’hui délaissées par certains historiens dont l’objet principal, voir unique, est le cinéma – parce que trop soumises à leurs yeux à des chronologies extérieures à leur sujet –, ces histoires rencontrent par contre un écho certain chez les « historiens classiques », (par leur connaissance même de la méthodologie historique et leur inscription précise dans un cadre politique et social)[5].

Ces deux mondes – chacun d’ailleurs est bien hétérogène – commencent à peine aujourd’hui à se rencontrer ; il faudrait bien pourtant que l’échange soit plus soutenu ; une série d’erreurs, de part et d’autre, pourrait ainsi être évitée.

Sur les routes d’acier, documentaire réalisé en 1938 par Boris Peskine