Marguerite Houllé

Marguerite Houllé (dite Marguerite Houllé Renoir) : seulement la femme du « cinéaste des femmes » ?  Critique de cinéma regrettée, Françoise Audé écrivait en 1986 : « Pour les femmes et pour le Front populaire, il n’y eut que Jean Renoir… ». Cette affirmation pourrait être nuancée car elle amène à minorer l’apport « féministe » de Jacques Prévert à quelques grands films de cette période – en particulier au Crime de Monsieur Lange de Jean Renoir (1936). Elle escamoterait aussi la singularité de quelques films de Jean Grémillon, qui de manière à la fois subtile et hardie a tenté de redéfinir tant la masculinité que la féminité – on songe en particulier au splendide Remorques (1939-1941), avec Jean Gabin et Michèle Morgan. Mais, au-delà de ces réserves, une question mérite d’être posée de manière plus frontale : derrière lui et autour de lui (Jean Renoir) qui y-a-t-il et qui sont-elles ? Fils prodige et gâté du peintre Auguste Renoir, Jean Renoir (1894-1979) a épousé la carrière de cinéaste par amour pour un modèle de son père, Catherine Hessling, qu’il a fait tourner dans plusieurs de ses films. Une autre femme a joué un rôle important dans sa vie de cinéaste et de citoyen : Marguerite Houllé dite Marguerite Houllé Renoir (même s’ils ne furent jamais mariés). Celle qui fut d’abord sa scripte avant de devenir sa monteuse – ce passage d’un métier à l’autre était courant, surtout au moment de l’arrivée du parlant – fut aussi sa compagne durant les années trente, Front populaire compris, période pendant laquelle le cinéaste fut le plus productif et le plus créatif. Au passage, on peut avancer que le fils Renoir reproduisit pour partie l’exemple donné par son Renoir père : dans leur entourage, les femmes, en fonction des besoins et du vieillissement des uns, des unes et des autres pouvaient changer de statut – les modèles et muses devenant amantes puis servantes. Ceci n’empêche pas la sincérité des sentiments mais reste profondément marqué par l’inégalité des rapports de sexes et de classes… (Cette question apparaît en filigrane dans le film de Gilles Bourdos Renoir (2013) où excellent Michel Bouquet, Christa Theret et Vincent Rottiers). Née impasse Rançon dans le XXème arrondissement de Paris, Margueritte Houllé (1906-1987) est une enfant du Paris populaire, évoluant dans une famille prolétaire et politisée. A l’état civil son père est désigné comme « coupeur de poils » – sans doute travaillait-il dans les cuirs et peaux – et sa mère comme « ménagère » – à l’instar de sa grand-mère maternelle. Le père est syndicaliste et les frères sont membres du parti communiste. Marguerite commence à travailler à l’âge de 15 ans aux studios de Joinville où elle rencontre Jean Renoir sur le tournage du Bled (1929). Durant les années trente et jusqu’ à La règle du jeu (1939) c’est elle qui montera tous les films de Jean Renoir, tantôt seule, tantôt accompagnée de Suzanne de Troye (épouse du compositeur Jean Wiener) et parfois assistée de Marthe Huguet. On relève une seule exception : On purge bébé (1931) monté par le sinistre Jean Mamy – voir le portrait de Jarville. Même après leur séparation Marguerite Houllé participe, en 1946, à la sortie du film inachevé de Jean Renoir (qui s’en désintéresse), Partie de campagne, chef-d’œuvre panthéiste et féministe. Cette même année Marguerite Houllé se marie avec un chanteur lyrique (ancien des Brigades internationales) qu’elle abat deux ans plus tard de cinq coups de revolver, lors d’une terrible dispute conjugale. La quasi totalité de ses camarades des studios et des labos ainsi que les militants de la Fédération du spectacle CGT (ce sont très souvent les mêmes) témoigneront de l’extrême brutalité du mari occis et, après une semaine de prison à la Petite Roquette, Marguerite Houllé sera définitivement libérée. Jacques Becker, ancien assistant et ancien ami de Jean Renoir, continuera à lui apporter son soutien et sa confiance. Elle montera tous ses très grands films, Antoine et Antoinette (1947), Casque d’or (1952), Le trou (1960)…  Bénéficiant sans doute du soutien du producteur communiste Claude Jaeger, elle montera également le documentaire de Robert Ménégoz (ancien des brigades Fabien) qui évoque de manière romancée le quotidien des mineurs cévenols dans Ma Jeannette et mes copains (1953). Plus tard, le cinéaste Jean-Pierre Mocky s’appuiera également sur ses qualités de monteuse hors pair. Durant les années 1970, le cinéaste et militant Jean-Pierre Thorn (alors ouvrier établi et délégué CFDT – il est aujourd’hui, en tant que réalisateur, adhérent à la CGT), se souvient d’avoir croisé Marguerite Houllé dans des salles de montage. Elle lui était apparue, croit-il se souvenir, peu bavarde, voire peu commode. Marguerite Houllé, dite Marguerite Houllé Renoir, n’allait tout de même pas confier au premier jeune homme croisé – un « gauchiste » de surcroît – qu’elle avait contribué artistiquement à la création des meilleurs films de Jean Renoir, des chefs d’œuvres mondialement reconnus (comme La grande illusion, 1937), et qu’elle avait même réussi, le temps du Front populaire, heureuse époque, à ancrer le bonhomme à gauche…  Tangui Perron in L’Ecran rouge, syndicalisme et cinéma de Gabin à Belmondo, éditions de l’Atelier, 2018.