Biographie Michèle Firk

Michèle Firk, critique cinématographique et militante révolutionnaire

Une aura romantique, peut-être mortifère, entoure la figure de Michèle Firk ; sa notoriété est cependant relative et sans doute paradoxale. Deux ouvrages lui ont été consacrés (et une librairie militante à Montreuil – Seine-Saint-Denis –  porte son nom), son itinéraire tragique appelle la légende mais son patronyme n’est encore connu que dans les cercles assez étroits du militantisme et d’une certaine cinéphilie. Née à Paris en 1937, issue d’une famille chassée par les pogroms en Russie à la fin du XIXème siècle, Michèle Firk fut une des rares femmes critiques dans les milieux souvent machistes de la cinéphilie des années 1950. Elle suivit des cours de cinéma en classe préparatoire au concours de l’Idhec au lycée Voltaire (Paris 11ème), premier grand lycée construit (en 1890) dans un quartier populaire du nord-est parisien. On sous-estime encore aujourd’hui l’importance qu’eut ce lycée public dans l’histoire de la cinéphilie après guerre. Une vaste salle de cinéma y accueillait tous les vendredi soir étudiants, enseignants et réalisateurs avides de débats. Le critique Henri Agel, qui y enseigna longtemps, avait fondé cette classe préparatoire avec le soutien de Léon Moussinac, directeur de l’Idhec et communiste de grande culture. Le lycée vit ainsi passer en ses murs les cinéastes Yves Boisset, Claude Miller et son ami Jean-Patrick Lebel, Maurice Failevic et Romain Goupil, le scénariste et écrivain Jean-Claude Carrière, le critique Serge Daney ou la monteuse Christiane Lack. (Quelques figures militantes du XXème siècle -tel le secrétaire général de la CGT, Henri Krasucki ou Alain Krivine, longtemps dirigeant de la LCR, fréquentèrent aussi cet établissement). Reçue à l’idhec en 1956 – où les jeunes femmes étaient fort minoritaires -, Michèle Firk anima avec d’autres le ciné-club Action et devint critique aux Lettres françaises et surtout à Positif, fondé au début de la guerre d’Algérie. Sévère avec l’historien et critique Georges Sadoul (il est vrai empêtré dans un dogmatisme certain durant les années chaudes de la Guerre froide), condamnant la Nouvelle vague au nom de principes politiques, Michèle Firk tenta d’établir une critique de gauche sur des bases marxistes. Elle fut une des toutes premières à repérer le cinéaste belge Paul Meyer dont la rareté de l’œuvre ne lui ôte en rien la singularité ni la beauté. Surtout, la jeune femme entendit toujours articuler la rigueur de sa pensée avec un engagement sans faille. Un temps membre de l’UEC et du PCF, elle milita activement en faveur du FLN algérien. C’est elle qui introduisit au sein des réseaux de « porteurs de valises », le cinéaste Yann Le Masson, traumatisé par ce qu’il avait vu et sans doute fait en Algérie – au point de se battre avec toute personne le regardant avec insistance… C’est elle encore qui accompagna le cinéaste breton à la prison de Rennes pour interroger et filmer des militantes algériennes au moment de leur libération. C’est elle enfin qui récupéra une partie des armes cachées par Le Masson pour tenter de les acheminer vers d’autres foyers révolutionnaires, comme ceux d’Amérique latine – où elle connaitra une fin tragique. Après un séjour à Cuba et en Algérie, la jeune révolutionnaire participe à l’exécution de l’ambassadeur américain au Guatemala dont la dictature ne perdurait que grâce au soutien des USA. Pour ne pas être capturée, Michèle Firk se donne la mort, le 7 septembre 1968, à Guatemala City.Ainsi, entre le cinéma militant des années 1940 et 1950, dominé par la CGT et le PCF, et le cinéma militant des années 1968, dominé par l’extrême gauche, Michèle Firk est le symbole d’une génération militante pour qui la guerre d’Algérie et les combats anticoloniaux et anti-impérialistes furent déterminants. Son itinéraire n’est pas sans rappeler, pour partie, celui de Pierre Goldman (1944-1979) qui rejoignit également les maquis d’Amérique latine. Sa vie, comme son œuvre critique (brève), intimement mêlées, incarne la notion d’engagement absolu.

Michèle Firk – Le cinéma s’insurge – Etats Généraux du Cinéma n°2