Nicole Le Garrec

Née le 29 mai 1942 à Plogastel Saint-Germain (Finistère) ; technicienne de la photo et du cinéma puis cinéaste de la Bretagne avec son mari Félix Le Garrec, photographe.

Les deux parents de Nicole Le Garrec ont respectivement grandi au sein d’une famille nombreuse, dans un milieu fort modeste. Son père, Jacques Le Pape (né en 1905), était l’aîné de douze enfants tandis que sa mère, Corentine (née en 1911), participa à l’éducation de la plupart de ses sept frères et sœurs. S’ils n’ont été scolarisés que durant trois années, les deux parents de Nicole Le Garrec ont toujours accordé une place primordiale à l’instruction. Corentine était croyante ; Jacques, meunier, fervent partisan de l’école laïque, se tenait à distance de l’Église. Dans le village de Plogastel Saint-Germain, conservateur et catholique, celui-ci avait une réputation de « rouge ». Dans l’immédiat après-guerre, il aida les métayers pauvres à déposer des plaintes contre des propriétaires terriens en les aidant à préparer leur argumentaire la veille du procès ou en leur conseillant l’aide (efficace) d’un avocat radical-socialiste. Inscrite à l’école laïque, Nicole Le Pape entendit parfois ses oreilles siffler – certains enfants de son village se retournaient sur son passage en criant « Communiste ! Communiste ! ». La langue usuelle dans sa famille était le breton et c’est dans cette langue que Nicole Le Garrec a souvent continué à échanger avec son frère aîné, Lucien Le Pape, agriculteur à Ploneïs (Finistère). Nicole Le Pape apprit le français à l’école. Bonne élève (à l’instar de sa sœur aînée Marie-Thère Lucas qui devint enseignante de français), elle décrocha un bac littéraire puis, au lieu d’aller à Brest entamer des études de lettres, elle se maria en 1961 avec Félix Le Garrec, de douze ans son aîné. Nicole travailla alors dans le magasin de photographies que ce dernier avait fondé en 1956 à Plonéour-Lanvern (Finistère). Issu d’une petite famille de notables propriétaires d’une conserverie locale, Félix Le Garrec, dont la langue maternelle est le français, a suivi une formation poussée dans des établissements et pensionnats catholiques. Inventif et entreprenant, il fit prospérer ce magasin idéalement situé sur la route touristique de la Pointe du Raz, tout en accueillant différentes opportunités professionnelles. Il fut ainsi photographe de plateaux lors du tournage en pays bigouden des Naufrageurs (1959) de Charles Brabant et, en Algérie, de Z (1969) de Costa-Gavras. Le couple a eu deux filles, Dominique et Pascale. Les années 1968 vinrent bousculer cet équilibre traditionnel. Nicole et Félix Le Garrec vendirent leur magasin et se lancèrent dans l’audiovisuel. Avec René Vautier, ils fondèrent en 1969 l’UPCB (Unité production cinéma Bretagne) qui avait pour ambition de développer un cinéma profondément ancré dans la région. La première collaboration de Nicole Le Garrec et René Vautier se fit autour de la réalisation de Mourir pour des images (1971), évocation du chef-d’œuvre documentaire de Raymond Vogel tourné à l’île de Sein, La mer et les jours (1958) pendant lequel l’assistant réalisateur, Alain Kaminker (frère de Simone Signoret), se noya. Nicole Le Garrec fut de plus scripte sur Avoir vingt ans dans les Aurès en 1972 puis co-réalisa avec Vautier, en Tunisie et en Bretagne, La Folle de Toujane, sorti en 1974, et dans lequel ses parents improvisent plusieurs scènes en breton. En 1975, elle participa également à la réalisation de Quand tu disais, Valéry, soutenu par le centre de culture populaire de Saint-Nazaire (à majorité CGT). Ce documentaire retrace deux années de grève et mobilisation des ouvriers de l’usine de fabrication de caravanes Caravelair, à Trignac (Loire-Atlantique), menées par une intersyndicale CGT-CFDT. Nicole Le Garrec réalisa aussi, à partir des photographies de son mari, plusieurs diaporamas sonores sur la lutte contre le remembrement des terres en Bretagne, la langue bretonne ou encore les ardoisiers de Comana dans les Monts d’Arrée. Au début des années 1970, le couple diffusa ces diaporamas dans toute la Bretagne, dans des cafés, des églises ou en plein air, devant un public nombreux et passionné. Hormis celui sur la langue bretonne, ces diaporamas sont aujourd’hui introuvables. Le renouveau régionaliste et leur pratique artistique amenèrent de plus Félix Le Garrec à réaliser d’ambitieux diaporamas pour les concerts et spectacles du musicien et chanteur Alan Stivell lors de ses tournées en France et en Europe. En 1971, Nicole et Félix Le Garrec achetèrent une vaste ferme dans la campagne de Plonéour-Lanvern, au lieu-dit Kerlamen, qu’ils rénovèrent et qu’ils équipèrent d’une salle de projection, d’un studio et d’une salle de montage. Cette « ferme-cinéma » devint l’un des épicentres du renouveau du cinéma en Bretagne durant les années 1970 et 1980. S’y croisèrent des paysans travailleurs actifs dans la grève du lait, des réalisateurs et des comédiens, des critiques et techniciens du cinéma de passage à Quimper ou des musiciens tels Alan Stivell, Dan Ar Braz et Gilles Servat. La ferme cinéma de Kerlamen accueillit Juliette Berto, Bertrand Tavernier, Paul Grimault ou Michel Ciment et le couple entra en amitiés avec Alexandre Trauner, Jean Aurenche et Jacques Demy. En 1977, Félix et Nicole Le Garrec s’éloignèrent de l’UPCB (qui ferma définitivement ses portes en 1981) et créèrent leur propre société de production « Bretagne films » au sein de laquelle Nicole réalisa plusieurs documentaires, avec Félix à l’image : Diwan (1977) sur les écoles Diwan, Mazoutés aujourd’hui… (1978) sur le naufrage de l’Amoco Cadiz, et Le Santik Du (1979), chronique d’un mois de vie des pêcheurs à bord d’un thonier-ligneur. En 1980, Nicole Le Garrec réalisa Plogoff, des pierres contre des fusils, consacré aux six semaines de lutte contre l’installation d’une centrale nucléaire dans le petit village de la Pointe du Raz. Réalisé sans véritables moyens et avec une équipe réduite (Félix Le Garrec à l’image, Jacques Bernard au son, Nelly Quettier et Claire Simon au montage), Des pierres contre des fusils trouva un distributeur et sortit en salles. Le succès de ce documentaire qui privilégie l’engagement des femmes dans la lutte, fut immédiat et de longue durée. Après un triomphe au festival de Douarnenez, plus de 100 000 spectateurs découvrirent ou revécurent une lutte emblématique de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Suite à l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, le projet d’installation d’une centrale nucléaire dans le sud-Finistère fut définitivement abandonné. Toujours dans le sillage de l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et dans le cadre des lois sur la décentralisation, cinq ateliers régionaux cinématographiques furent créés en 1983. Félix Le Garrec fut nommé directeur de l’Arc Bretagne à Quimper et Nicole, qui y fut bénévole pendant une décennie, y réalisa plusieurs documentaires dont : Languivoa (sur la restauration d’une chapelle bigoudène, 1984), Ar C’hoari Ch’aloj (La galoche, co-réalisé avec Pol Tuner, 1987), Les enfants dauphins (1990), La porte du Danube (1993) et Pierre-Jakez Hélias l’émerveilleur (1995). Nicole et Félix Le Garrec ont publié trois livres où Félix signe les images et Nicole le texte : Le siècle des bigoudènes, Éditions Blanc Silex, 2000, Vivre et lutter pour des images, éditions Coop Breizh, 2001, et Témoins silencieux en baie d’Audierne, éditions Vivre tout simplement, en 2017. Nicole n’a jamais été membre d’un parti politique ou d’un syndicat, même si elle se rendait aux réunions du parti communiste avant son mariage. Son engagement dans le mouvement social est lié à la réalisation de films documentaires, parfois militants, et aux nombreuses manifestations auxquelles elle a participé. Elle a ainsi beaucoup contribué à l’essor de l’audiovisuel en Bretagne, grandement lié aux mobilisations sociales, écologistes et culturelles. L’association Les Amis de Nicole et Félix Le Garrec mène des actions de valorisation du fonds d’atelier de Nicole et Félix Le Garrec, et notamment de leur fonds photographique, mis en dépôt au Port-Musée de Douarnenez depuis juillet 2018. En février 2020, leur film Plogoff, des pierres contre des fusils restauré avec l’aide de leur fille Pascale, et le soutien du Centre national du Cinéma et de l’image animée (CNC), est ressorti en salle, Nicole le présentant devant un large public, comme à Quiberon au cinéma Le Paradis.  maitron.fr/spip.php?article230749, notice LE GARREC Nicole [née LE PAPE Nicole] par Nina Almberg et Tangui Perron, version mise en ligne le 30 juillet 2020

Nicole Le Garrec lors du tournage du film Des pierres contre des fusils © Félix Le Garrec