René Vautier, rouge breton

Il n’est pas aisé d’écrire sur René Vautier, homme de légende entretenant la légende, cinéaste baroudeur battant la campagne, bavard impénitent. Un livre et un flot d’adjectifs n’y suffirait pas. Commençons par ses débuts et les faits les plus objectifs possibles. Né en 1928 à Camaret, René Vautier, jeune Eclaireur de France avant guerre, passe du jeu aux armes pendant la seconde guerre mondiale. Résistant dans la région de Quimper, d’abord chargé du renseignement puis de la propagande, il cotoie tôt la mort. Courageux et bravache, son côté « boy-scout » et tête brûlée ne le quittèrent jamais tout à fait. S’il prolétarise parfois ses origines, ce sont des fortes femmes, indépendantes, qui marquent surtout sa jeunesse : une mère institutrice laïque, une grand-mère contremaîtresse dans les conserveries du littoral breton (qui gifla un jour le leader communiste Charles Tillon venu faire de l’agitation…), tandis que le père, un temps ouvrier puis contremaître avant de devenir entrepreneur, abandonna fort tôt le foyer familial. Si René Vautier rejoint le parti communiste durant ces études de cinéma à Paris, juste après avoir été reçu brillamment à l’IDHEC, son réseau de résistance initial n’était pas du tout communiste. Communiste, René Vautier le sera par la suite toute sa vie et il le revendiquera toujours. Il s’agit cependant d’un communisme particulier, un communisme de guerre froide certes, au sectarisme flamboyant, mais René fut toujours plus attiré par les chocs frontaux que par les louanges à Staline. Individualiste généreux, enragé charmeur, globalement, René Vautier est toujours un marginal, tant en politique que dans les milieux du cinéma. Homme de la fidélité dans ses convictions et amitiés, quoique toujours adhérent du PCF, Vautier a en fait épousé les idéologies les plus radicales de son époque : anticolonialisme, régionalisme frôlant l’indépendantisme, écologisme anticapitaliste…

Et l’œuvre dans tout ça ? L’œuvre de René, on aurait tendance à penser que c’est surtout l’homme lui-même, René Vautier, avec ses aventures incroyables et souvent vraies, alors que sa filmographie multiforme et protéiforme est difficilement saisissable. René Vautier filma en effet abondamment, participa à de nombreuses œuvres collectives, signa parfois d’un pseudonyme, se vit censurer et interdire moult fois par l’Etat ; un commando d’extrême droite saccagea des milliers de kilomètres de pellicule lui appartenant ; il oublia et perdit de plus des films derrière lui, tandis qu’on lui attribue parfois des œuvres qu’il n’a pas réalisées… Au cœur d’une manif, interpellé par son opérateur lui signalant que leur caméra ne contenait plus de pellicule, René aurait répondu : « c’est pas grave, tourne quand même» ! Cette anecdote est peut-être apocryphe, elle témoigne cependant d’une certaine conception du cinéma …

Un bilan de l’oeuvre du cinéaste breton (que les CRS confondaient parfois avec Léo Ferré) ne peut être ainsi que cinématographique et politique. L’anticolonialisme, le cinéma militant et le cinéma en Bretagne lui doivent beaucoup. Son premier film, Afrique 50, peut-être sa meilleure œuvre, est un violent et efficace réquisitoire contre le colonialisme français en Afrique noire. Le film lui valu une interdiction totale, treize inculpations et l’armée, se rappelant que René Vautier n’avait pas fait son service militaire (ses faits de Résistance auraient pu pourtant l’en exempter), l’envoya en Allemagne… où il passa quasiment un an en prison militaire. La suite fut diverse et courageuse, fantasque et brouillonne, internationaliste et inventive. Après 15 jours sur un chalutier, René filme l’enterrement de l’ouvrier brestois Edouard Mazé, assure pour le PCF la responsabilité d’un service d’ordre sur un tournage ou, pour la CGT, le secrétariat administratif de son syndicat des techniciens du film.

Mais c’est la guerre d’Algérie et l’Algérie qui constituent le premier volet de sa carrière. René Vautier passe ainsi clandestinement dans ce « territoire d’Outre-Mer » pour se battre et filmer du côté du FLN. Il y est blessé, incarcéré (à cause de conflit interne à la révolution algérienne), pourchassé par l’armée française. Là-bas aussi René devient une légende. A l’indépendance, et c’est là que René fut le plus proche du pouvoir (FLN), il travaille à la Cinémathèque d’Alger, forme de jeunes cinéastes algériens, organise des tournées homériques dans toute l’Algérie, y compris au sein de contrées qui n’avait jamais vu de projection. De retour en Bretagne, en œuvrant pour la création d’un cinéma en région, René Vautier fonde avec d’autres cinéastes l’UPCB. Durant cette première aventure décentralisée et régionaliste, il n’oublie pas son combat antiraciste (Les ajoncs (1969) et Les trois cousins (1969) ni la guerre d’Algérie (Avoir 20 ans dans les Aurès (1972), son film le plus connu et le plus diffusé dans les réseaux parallèles). C’est durant cette période que le cinéaste breton fut le plus créatif et qu’il disposa le plus de soutiens, ce qui ne l’empêcha pas de connaître quelques échecs artistiques (comme avec La folle de Toujane, 1974).

Les années 80 furent moins fastes pour René Vautier, souvent ignoré par certains milieux (et dictionnaires) du cinéma, prêchant seul devant des auditoires alors moins fourni. Cela ne l’empêche pas de continuer ses combats et harangues, épaulé par quelques Comités d’Entreprises, tournant avec des enfants souvent banlieusards ou se rendant au Liban pour faire parvenir du matériel vidéo aux Palestiniens… Désormais le plus souvent seul derrière la caméra, ses réalisations pâtirent du manque de collaborations (comme naguère avec Yann Le Masson ou Bruno Muel). René Vautier avait pourtant su être un opérateur courageux et talentueux quand il filmait le passage de la ligne Morice, barrière électrifiée séparant l’Algérie et la Tunisie pendant la guerre coloniale ou durant les charges de CRS à Brest, après la marée noire de l’Amoco Cadiz (Marée noire et colère rouge, 1978).

A la fin du XXème siècle néanmoins, René Vautier, toujours debout, suscite un intérêt nouveau illustré par de nombreuses rétrospectives ou des programmations attirant un public souvent jeune et passionné. Le cinéaste s’intéresse enfin à ses films, arrête de les semer à tous vents et la Cinémathèque de Bretagne peut entamer un travail de collecte et de diffusion. Le micro entre les dents, comme naguère la caméra, René Vautier parcourt inlassablement villes et campagnes, principalement en France et en Algérie : «Il était une fois, le cinéma militant … »


Tangui Perron

La guerre d’Algérie selon René Vautier, par Jacques Mandelbaum Article du Monde – 4 février 2016