Enfants de la grande ville et enfants des bidonvilles

L’acte II du confinement nous prive, entre autres, du bonheur d’être ensemble devant un grand écran. En attendant de retrouver le chemin des salles obscures, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir deux classiques du court-métrage, tous deux diffusés en 1958, sans doute la dernière année de l’âge d’or du court-métrage français : …Enfants des courant d’air d’Edouard Luntz et La première nuit de Georges Franju.

Ces films du patrimoine, d’une qualité technique exceptionnelle, ont aussi en commun de mettre en scène des enfants vagabondant une journée ou une nuit entière au sein de la Ville Lumière – feux éteints -, dans les marges des terrains vagues ou dans les entrailles du métro. Films de ville consacrés à des enfants, en noir et blanc et sans dialogue, nous pourrions trouver d’autres correspondances entre ces deux œuvres qui sont sans doute des chefs-d’œuvre. Mais l’enfance des beaux quartiers n’est pas celle du lumpen-prolétariat. Surtout, les deux réalisateurs optent pour deux regards différents : Luntz se veut réaliste, Franju, fidèle à toute son œuvre, mêle l’étrange et le fantastique. En regardant de près les génériques on comprend mieux encore la qualité de ces deux courts-métrages. Le chef-opérateur d’… Enfants des courants d’air, Jean Badal, a longtemps travaillé pour Jacques Tati ; un de ses assistants, Peter Cassowit, est un opérateur réputé et éclectique  – et, par ailleurs, le père du cinéaste Mathieu Kassowitz – tandis que le musicien américain Eugène Kurtz est un nom de la musique contemporaine. Mais le générique de La première nuit est plus éblouissant encore. Argos film fut longtemps la maison de production de Resnais, Marker ou Jean Rouch, le scénario est signé à la fois par Remo Forlani (créatif compagnon de Marker et Resnais) et par la chanteuse Marianne Oswald, interprète de « La chasse à l’enfant » de Jacques Prévert… dont un vers a donné son titre au film de Luntz. Le « maître des lumières » Eugen Shuftan, qui a tant apporté au « réalisme poétique » (celui de Marcel Carné en premier lieu), signe quant à lui l’image de ce court-métrage dont la musique est composée par le génial Georges Delerue, entre autres musicien de François Truffaut. 1958 est décidément une année éblouissante pour le court-métrage français bénéficiant d’un système d’aide original (via le CNC), de grands producteurs et d’équipes techniques et artistiques de haute volée. La même année fut diffusé La mer et les jours de Raymond Vogel dont Georges Delerue a aussi composé la musique. Henri Colpi et Jasmine Chasney ont monté le film de Franju et celui de Vogel. Tourné à la plaine Saint-Denis, entre Saint-Denis et Aubervilliers, … Enfants des courants d’air est un classique des films de la banlieue (et de la Seine-Saint-Denis) que nous avons souvent accompagné dans les salles de cinéma de La Courneuve, Saint-Denis, Aubervilliers et Montreuil. Nous n’avons montré qu’une seule fois La première nuit au Bourget. Il était temps de faire cheminer ces deux films ensemble, alors que Périphérie entame un nouveau travail sur la représentation de l’enfance. 

Tangui Perron, chargé du patrimoine audiovisuel à Périphérie.


Remerciements à Thomas Luntz

…Enfants des courant d’air Sous-titred’Edouard Luntz
La première nuit de Georges Franju